VIE ET MORT DU REVE
 
Une courte nouvelle dans l'univers de Chimères
 
 

Il courrait. Il courrait à perdre haleine. Il entendait derrière lui la clameur de la populace lancée à sa poursuite. Ils se rapprochaient lentement, inexorablement. Dans quelques instants, ils seraient sur lui. Comment avait-il pu se laisser surprendre ? Pourtant il savait qu'il devait s'entourer de mille précautions lorsqu'il libérait l'animalité qui était en lui. A cet instant, peut-être l'un de ces derniers, il entendait très distinctement l'une des premières phrases que lui avait assénées Jehan lors de son initiation aux clairs de lune. "Jamais, tu m'entends, jamais tu ne dois changer d'apparence si tu n'es pas sur et certain que personne ne peut te voir. Jamais." Alors que lui-même avait répété des centaines de fois ce même précepte à ses novices, il avait failli. Maintenant, il mettait en danger toute la caravane... Fuir le plus loin possible, voilà ce qu'il devait faire maintenant...

"Il est là ! Le monstre est là !"

Ca y était ! Ils était sur lui. Le poil hérissé, les yeux pleins de rage, il fit volte-face et se retrouva pris entre un chêne centenaire et une armée de gueux hurlant au démon. Il vit la fourche fondre sur lui comme l'éclair. La douleur lui déchira l'abdomen. Il sentit son sang chaud couler sur son flanc et frissonna au contact du sol gelé. Puis l'obscurité se fit autour lui. Un long, long hurlement résonna dans le sous-bois.

 

 

Un long hurlement s'éleva dans l'espace infini. Il était là, la gueule ouvrant ses crocs de cristal sur l'immensité du vide, sur l'immensité du temps. Un frisson parcourut son échine écailleuse Il s'éveillait, il venait de quitter le monde du rêve. Il n'aimait guère cette fraction d'éternité où il reprenait conscience de l'échec, de son échec, de leur échec. L'Ennemi Eternel avait remporté une bataille mais il n'avait pas encore gagné la guerre. Lui se battrait, et tous avec lu i. Instinctive ment, il s'était cambré, prêt à recevoir la prochaine attaque. Déjà, dans ses mains, il battait les arcanes au rythme du souffle des Dragons. Il sentait leur pouvoir le rasséréner comme le feu réchauffe les coeurs les soirs où la tristesse de la défaite vous envahit. Tous, animés de la même énergie, étaient prêts. Tous étaient suspendus à ses lèvres d'ambre. Ils buvaient ses paroles, s'abreuvant à la source de jouvence qu'est le voyage dans les contrées du rêve.

"Mes amis, mes frères..."

 
© Nicolas PALMIER, 1997
 
Chimères est un jeu de Valérie et Jean-Luc Bizien édité par Multisim